Ancien Directeur générai de la SBEE (1990 -1995) On croyait pourtant avoir fini avec les délestages, depuis que, par trois fois déjà sur ces vingt dernières années, le Bénin a connu la même crise: en 1984, puis en 1994, et dernièrement en 1998, où des décisions pertinentes avaient été prises. Le traumatisme causé dans la population en 1998 était tel que les Autorités publiques du moment avaient mis tout en œuvre pour l’enrayer en moins de 4 mois. En effet, le Gouvernement avait rapidement mis sur pied une Cellule de crise (Décret n098-128 du 3 Avril 1998), qui a travaillé dur et élaboré un plan de sortie de crise que le Gouvernement a adopté: achat et installation de groupes électrogènes, puis location d’une batterie de groupes électrogènes («Groupes AGGREKO ») par la SBEE, en mesures d’urgence; ensuite, comme solution à court et moyen terme, achat et installation d’une Turbine à gaz de 25 Mégawatts par la CEB à Cotonou ( sur prêt BOAD de 6,5 milliards de F CFA). En 1998 déjà Mais déjà le 18 Mars 1998, le Gouvernement avait pris des décisions en Conseil des Ministre pour juguler la crise, complètement et de façon durable. Le compte rendu dudit Conseil, publié dans le Quotidien « La Nation » du jeudi 19 Mars 1998, sous le titre « Des mesures pour faire face aux délestages », disait: « ... La crise énergétique que traverse actuellement notre pays est d’ampleur transnationale, car elle affecte aussi durement les pays frères du Togo et du Ghana. La faible pluviométrie observée dans la sous-région, ces dernières années, ayant entraîné la baisse drastique du volume d’eau dans les barrages hydroélectriques d’Akossombo et de Kpong au Ghana et de Nangbéto au Togo est la cause de la chute de la production d’énergie électrique dans ces trois pays. Le phénomène revêt donc le caractère d’une catastrophe naturelle. Le gouvernement déplore les dures conséquences qui en découlent pour la vie de nos populations, et de nos entreprises et institutions. Toutes les diligences ont été menées dès les premiers signes d’alerte pour atténuer les effets de la cri e ... Dans l’immédiat, des groupes électrogènes commandés en urgence installés en priorité sur les sites de pompage et de traitement de l’eau potable ... Les améliorations attendues seront perceptibles dès la 1ère semaine du mois d’avriIl998. Puis, en juin-juillet 1998, la CEB installera une centrale thermique de 25 mégawatts à Cotonou. Mais au-delà de ces mesures palliatives, il s’agit d’assurer, à brève échéance et de manière durable, l’autonomie énergétique de notre pays. A cet effet, l’ensemble des partenaires au développement a été sensibilisés à l’urgence d’accélérer les démarches pour: l’interconnexion CEB-NEPA du Nigéria, l’aménagement hydroélectrique d’Adraralla, l’extension de la centrale thermique d’Akpakpa, l’installation d’une centrale à gaz dans le cadre du projet de construction du gazoduc ouest-africain, la construction de micro-barrages hydroélectriques à Parakou, Savalou ,Kétou et sur le Mékrou. Le Conseil renouvelle sa compassion et sa solidarité à nos populations éprouvées par le délestage et apprécie hautement le courage et la compréhension de tous, grâce auxquels le programme national de sauvetage sera conduit à son terme afin que notre pays retrouve bientôt une ie normale ... Une cellule a été mise sur pied et placée sous la présidence du Premier Ministre pour étudier tous les problèmes sectoriels posés par la crise énergétique et proposer, au fur et à mesure, des solutions au gouvernement ... » . Statu quo 2007 Mais aujourd’hui, quand on relit ces lignes, on croit rêver! Comment 8 ans après ces bonnes résolutions du Gouvernement, l’on est resté au même point et que la même crise survient encore? Parmi les projets arrêtés, seul l’interconnexion CEB-NEPA (devenue CEB- TCN) a connu une mise en œuvre, et les travaux fort heureusement étaient en cours! L’on a alors précipité leur achèvement avec l’affirmation qu’il permettra de mettre fin aux délestages. Et nous voilà à Sakété le mardi 13 Février 2007 pour son inauguration solennelle, en présence de 4 chefs d’Etat. Mais, surprise, surprise! Après un répit de quelques jours, les délestages ont repris, et de plus bel! Mauvais coup de Dame Providence? Et au public d’aller à des supputations à propos de cette fameuse décoration du Président Nigérian par le Bénin L .. Et aux autorités, très gênées, de nous servir que le Ghana a dû cesser totalement sa fourniture pour cause de célébration du Cinquantenaire de son Indépendance, d’ailleurs que ce n’est pas seulement au Bénin que la crise sévit, mais dans toute la sous-région, comme pour nous consoler! etc., etc. Mais alors, ce sont Jà des causes conjoncturelles de la crise! Et les causes profondes ou d’ordre structurel? Personne n’en parle, si ce n’est que pour déplorer, bien maladroitement, l’intolérable dépendance du Bénin en énergie électrique vis-à-vis de l’extérieur. Pourtant, si seulement et seulement si les décisions du Conseil des Ministres du 18 Mars 1998 avaient été toutes mises en œuvre (et ce n’est pas l’espace de 8 ans qui n’aura pas suffi !), la présente crise nous aurait été sûrement épargnée, tout au moins dans une très large mesure! D’un autre côté, si l’on se reporte aux faits marquants de l’histoire du développement de l’énergie électrique dans notre pays, l’on pourra mieux comprendre ce qui a pu se passer. En effet, il faut savoir que: Comment en sommes nous arrivés là? 1-Les deux pays voisins, le Togo et le Dahomey (Bénin d’aujourd’hui), ont créé le 27 Juillet 1968, par un Accord International, un organisme commun, la CEB (Communauté électrique du Bénin) pour assurer et développer, en toute solidarité d’intérêts, les activités de production et de transport d’énergie électrique sur leurs deux territoires, pour les simples raisons que: - L’énergie électrique est vitale pour le progrès économique et social d’un pays dont le degré de développement e mesure à la quantité d’électricité consommée par chacun de ses habitants, - Les ressources naturelles, à partir desquelles l’énergie électrique est produite, sont inégalement ré- parties sur la surface du globe, en même temps qu’elles sont diversifiées (charbon, pétrole, gaz naturel, hydroélectricité, biomasse, énergie solaire ou éolienne, énergie géothermique ou nucléaire, etc.), - L’énergie électrique est une denrée qui ne se stocke pas, et dès qu’elle est produite en abondance quelque part, elle doit se partager et s’échanger. Enfin, les investissements à réaliser dans le domaine sont de coûts si élevés pour un petit pays, qu’il est plus indiqué que plusieurs pays se mettent ensemble. 2. Les premières installations de la CEB ont été mises en service en Février 1973, à partir desquelles le premier kilowattheure, fourni au Togo et au Bénin par la CEB, a été acheté au Ghana à partir du grand barrage hydroélectrique d’Akossombo, de puissance totale de 912 Mégawatts (énorme à l’époque !) 3. Mais, c’était en 1965 déjà qu’une étude, commanditée par les deux pays, avait conclu que l’achat de l’énergie électrique au Ghana était une solution plus économique et plus opportune que la réalisation, à ce moment-là, du vaste projet commun d’aménagement intégré de la basse vallée du Mono (barrage hydroélectrique et aménagement hydro-agricole), dont l’étude avait été lancée déjà en 1959, par les Premiers Ministres respectifs ,Sylvanus OLYMPIO et Hubert MAGA, à une rencontre historique à Agoué. 4 Le premier Programme d’investissement de la CEB, arrêté à partir d’une Etude intitulée « Etude de l’approvisionnement optimum en énergie électrique du Togo et du Bénin, sur 15 ans, 1976-1991 » ( par Electroconsult en 1976), avait déjà prévu et planifié des projets comme: -l’Interconnexion électrique avec le Nigéria, pour diversifier les sources afin que le Ghana ne demeure pas longtemps la seule source pour la CEB, l’implantation de sources propres à la CEB au Togo et au Bénin, avec la construction de centrales hydroélectriques ( Nangbéto pour 1986, Adjaralla pour 1991, et Kétou pour plus tard), de centrales thermiques de secours ou d’appoint, aussi bien à groupes diesel qu’à turbines à gaz, -I ‘extension progressive du réseau de transport haute tension jus- qu’aux régions septentrionales des deux pays, etc. 5 .Plus tard, des actualisations de ce premier programme ont été effectuées, dont la dernière date de 2000, donc après la crise de 1998. Intitulée «Actualisation du Plan directeur de production et transport d’énergie électrique de la CEB », elle a été réalisée par le Consortium SNC-LAVALIN / DECON. Elle a défini, sur une période de15 ans (2000 à 2015), en fonction de l’évolution prévisible de la demande, un plan de production et un plan de transport, aussi bien pour le réseau interconnecté que pour les réseaux isolés, le tout en 3 scénarios: scénario de base, scénario faible et scénario fort, de sorte que tous les aléas sont pris en compte, y compris bien entendu les aléas climatiques de baisse no- table du niveau d’eau dans les barrages. Somme toute, si cette planification de 2000, qui a intégré exhaustivement tous les aspects techniques, économiques, financiers et commerciaux du secteur, avait été appliquée et respectée rigoureusement, la crise actuelle, traduite en une très forte pénurie d’énergie électrique, n’aurait pas dû être! Malheureusement, ça n’a pas été le cas! Où donc, doit-on rechercher les responsabilités d’un tel état des choses? Certainement pas du côté des premiers auxquels on pense habituellement, c’est-à-dire les techniciens, les experts et autres professionnels du secteur de l’énergie électrique, - comme peut l’attester tout ce qui vient d’être développé!- mais plutôt ailleurs. En effet, les causes profondes de ces pénuries successives d’énergie électrique ont pour origines indéniables, osons le dire, les principaux maux que sont: - Les grandes lenteurs dans les études et dans la réalisation des grands projets d’investissement : - La mauvaise utilisation des ressources humaines, qui est toujours
- Les faits de mauvaise gestion connus ou avérés dans les Sociétés, qui ne sont jamais sanctionnés ni remédiés, - Les faits de conjonctures économico-financières et surtout politiques (tels que renchérisse- ment des produits pétroliers, endettement extérieur, gabegies nationales, instabilités dans les postes de responsabilité politique ou administrative, etc.), qui sont fréquemment observés depuis toujours. Comme on le voit, ce sont là des causes imputables essentiellement aux Pouvoirs publics et, dans une moindre mesure, à certains cadres nationaux et à certains experts ou « marchands d’affaires » internationaux! Etant donné que c’est des causes profondes, l’on comprend aisément pourquoi nous avons jusqu’à maintenant tant de mal à juguler la crise. Il faudra sûrement imaginer et prendre des mesures d’urgence appropriées, inévitablement très coûteuses, mais impérieuses, si l’on ne veut pas aller à la catastrophe. Les Pouvoirs publics, aidés par toutes les volontés possibles, nationales et internationales, doivent s’y employer. Et le peuple n’a paf: d’autre choix que de prendre son mal en patience, sachant que le chemin du redressement de la situation pourra encore être long! Nb : Les interlignes sont de la rédaction
Philippe HOUNKPATIN Dr. Ingénieur en Génie électrique
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